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CANNES 2022 Séances spéciales

Critique : L’Histoire naturelle de la destruction

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- CANNES 2022 : Sergei Loznitsa concentre son attention sur les campagnes de bombardement des villes allemandes par les alliés pendant la Seconde Guerre mondiale

Critique : L’Histoire naturelle de la destruction

Bien que Sergei Loznitsa se soit d’abord fait connaître avec ses films dramatiques de fiction et ses documentaires d'observation ancrés dans le présent, le réalisateur ukrainien semble désormais déterminé à mettre à profit toutes les images d’archives un tant soit peu intéressantes qu'il pourra trouver dans les armoires des laboratoires. Il assemble par collage et reconstruit ces fragments, souvent filmés par des civils dont le temps a effacé l’identité, pour en faire des tout filmiques assez éblouissants sur le plan technique, pas tant pour proposer une nouvelle lecture de l’Histoire que pour en fournir un index cinématographique et une représentation dont on ignorait l’existence.

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Loznitsa peut aussi être décrit comme un prophète de l’Est postcommuniste. De fait, sa brillante satire Donbass [+lire aussi :
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, réalisée en 2018, a récemment touché de nouveaux publics cherchant à mieux comprendre l’attaque russe sur l’Ukraine. Son orientation nationale et possiblement politique n'a toutefois pas une formulation simple, quand on voit les déclarations qu'il a faites cette année à l’Académie européenne du cinéma et les réactions de ses concitoyens au sein de l’industrie cinématographique ukrainienne. Quoiqu'il en soit, le voilà qui revient cette année avec un nouveau documentaire réalisés à partir d’images d’archives, L’Histoire naturelle de la destruction, son deuxième après Austerlitz [+lire aussi :
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(2016), qui tenait son titre d'un texte de W.G. Sebald. Ce travail, qui a fait sa première à Cannes parmi les séances spéciales, de même que Babi Yar. [+lire aussi :
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l’année dernière, détourne son attention de l’Europe de l’Est : il assemble cette fois des images d'archives montrant les campagnes de bombardements aériens qui ont visé des villes du nord de l’Allemagne pendant la Seconde Guerre mondiale, ainsi que les pertes civiles et les dommages causés aux infrastructures.

Le grand talent de dramaturge de Loznitsa ne l'abandonne jamais, y compris dans ces films. Adoptant une démarche contraire à celle favorisée par certains théoriciens récents du documentaire, toujours enclins à montrer du doigt l'artifice de cette forme, il prend cet élément même à bras le corps et monte ensemble les master shots épiques et les panoramas de la foule qu'il a eu la chance de récupérer de manière à composer une œuvre qu'avec leur sens du spectacle, des spécialistes du film de guerre comme David Lean ne pourraient que saluer. Sauf qu'ici, ce sont les civils allemands, innocents et loin d'imaginer ce qui les attend, qui sont les victimes. Dans ces images, on aperçoit à peine les insignes nazies sur quelques bâtiments, et ce sont les discours des officiers britanniques (le maréchal Montgomery et Sir Arthur "Bomber" Harris) qui exaltent ce dogme militaire qui fait si froid dans le dos. Après une série de films documentant le travail des usines d'armement alors exploités à des fins de propagande, et des images de pilotes allègrement installés dans leur cockpit, excités avant l'action, il est temps pour eux de lancer l'attaque, galvanisés par ce truisme tenace selon lequel c'est justifié, en temps de guerre.

Le renversement qui s'opère dans le film, dans le sens où l'empathie change ici de camp par rapport à ce qu'on trouve dans tous les commentaires qui ont été formulés sur cette guerre au fil des décennies qui l'ont suivie, est l’élément le plus intéressant et subversif du film. Alors même que les terrifiants bombardements survenus en Ukraine et, juste avant, en Syrie, restent très présents dans nos esprits, Loznitsa a le courage d’extraire presque chirurgicalement du contexte de la Seconde Guerre mondiale le phénomène des campagnes de bombardements aériens et du châtiment collectif de populations innocentes qui en découle pour en faire une aberration morale universelle. Par rapport à ses films sur la Russie soviétique, où les couleurs très vives et les monuments célèbres y apparaissant ne laissent pas de place à quelque erreur de localisation que ce soit, ici, l'usage que fait Loznitsa des images en noir et blanc permet au spectateur de bien isoler du reste le dégoût et le chagrin qu'il ressent forcément – les coupes qu'il opère entre le flamboiement suivant l'explosion des bombes au point d'impact et les bâtiments rasés fait qu'on n'a ausun moyen de dire si c'est Cologne ou Londres qu'on est en train de regarder.

L’Histoire naturelle de la destruction est un film éprouvant et perturbant, par moments obstinément répétitif et réticent à nuancer son propos, mais on ne peut qu'être reconnaissants à Loznitsa de la croisade qu'il mène pour nous montrer des choses qu'il faut voir, et sur lesquelles il faut réfléchir.

L’Histoire naturelle de la destruction est une coproduction entre l’Allemagne, les Pays-Bas et la Lituanie qui a réuni les efforts de LOOKSfilm, Atoms & Void et Studio Uljana Kim. Les ventes internationales du film sont assurées par PROGRESSfilm.

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(Traduit de l'anglais par Marine Régnier)

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