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IFFR 2022 Compétition Tiger

Critique : EAMI

par 

- La réalisatrice paraguayenne Paz Encina livre une pénétrante parabole sur les peuples indigènes délogés dans la région du Gran Chaco en Amérique du Sud

Critique : EAMI
Anel Picanerai dans EAMI

Vers la fin de sa carrière, le maestro iranien Abbas Kiarostami a réalisé un court-métrage intitulé Seagull Eggs, où l'on voyait des oeufs de goéland posés sur un rocher, au bord de la mer, vulnérables, exposés au va-et-vient de vagues féroces. Difficile de ne pas songer à ce choix d'image en découvrant le plan d’ouverture d'EAMI [+lire aussi :
bande-annonce
fiche film
]
, qui montre, de même, une grappe d'oeufs d'oiseau, nichés un peu plus soigneusement sur la rive d'un lac moussu. On les regarde longtemps, tandis que la lumière naturelle qui les éclaire glisse sur eux comme pour marquer un passage rapide du temps, et une voix-off féminine se fait entendre, un murmure, délicat comme une plume, à tel point que son indonation fait encore plus d’effet que les mots eux-mêmes.

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C’est un exemple représentatif du style employé par Paz Encina dans ce film, qui est son deuxième long-métrage officiellement fictionnel – car bien qu'on voie une liste des interprètes au générique de fin, il correspond plus à la description d'un docu-fiction, et comprend des reconstitutions réalisées à partir de témoignages oraux, superposés aux images sous forme de voix-off. Ce travail, qui se penche sur le déplacement des Ayoreo-Totobiegosode, une tribu indigène qui a élu domicile dans la partie paraguayenne des plaines du Gran Chaco, renonce à tout angle didactique en faveur d'images et sons impressionnistes, un langage filmique si juste par rapport à ses sujets que les spectateurs en seront pour la plupart mystifiés, et pas du tout ennuyés, par ce qui se déploie ici. Le film a fait sa première mondiale la semaine dernière dans le cadre de la Compétition Tiger du Festival de Rotterdam, édition virtuelle.

Il a fallu à l’auteur de ces lignes tout un visionnage, et un revisionnage partiel, pour analyser pleinement la structure narrative du film, et tout spécialement le vocabulaire qu'utilisent les personnages d'Encina. EAMI est présenté à travers le filtre du point de vue d’une fillette de cinq ans, également appelée Eami, dotée d'une perception omnisciente des épreuves et des coutumes de son peuple qui balaie toutes les temporalités – car il n'est pas simple, pour tout dire, de sentir intuitivement à quel moment de l’histoire se situe le fil narratif premier. Dans la tradition des Totobiegosode, elle représente aussi l'Asojá (un mot qui n'est hélas ni clarifié ni défini par un texte explicatif à destination du spectateur), la divinité oiseau-déesse-femme dont le chant "a aidé la Nature à naître". Au-delà du fait qu'Eami est une orpheline dont les parents ont été tués à l’arrivée des colons blancs, elle a une signification transcendante, son objectif étant de s'unir à l'Aocojái, un compagnon masculin, et de délivrer son peuple du mal, à présent incarné par les forces coloniales, résolues à utiliser leurs terres pour y faire de l’élevage.

Du fait de la manière qu'a le film de glisser, léger comme la soie, et de la tendance de la caméra à s'arrêter surtout sur des images décalées (comme les oeufs susmentionnés) tandis que la narration, absconse mais poétique, se poursuit autour d'un sujet qu’on ne voit pas, le spectateur est susceptible de quitter le film plein de confusion quant à l'interprétation de chaque détail, mais cependant convaincu qu’il vient de voir quelque chose qu’il a profondément ressenti, et qui est clairement urgent pour ses sujets. Ce titre résiste à la pédagogie qu'offrent beaucoup de films sur des sujets postcoloniaux similaires : il laisse la signification de ce qui s'y déploie apparaître, très progressivement, dans l'esprit du spectateur. Il s'agit de lui faire sentir ce que ce doit être que de voir et votre situation actuelle, et votre histoire, effacées dans un seul geste, et pourtant d'arriver encore à récolter de l'espoir.

EAMI est une coproduction entre le Paraguay, l’Allemagne, l’Argentine, les Pays-Bas, la France, les États-Unis et le Mexique qui a réuni les efforts de Black Forest Film, Revolver Amsterdam, MPM Film (Movies Partners in Motion Film), Eaux Vives Productions, Silencio Cine, Gamán Cine, Louverture Films, Piano, Barraca Producciones, Grupo LVT, Sagax Entertainment, Splendor Omnia et Sabaté Films.

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(Traduit de l'anglais)

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