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FILMS / CRITIQUES Turquie

Critique : Les Promesses d'Hasan

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- Conflit entre foi et aspirations personnelles dans un monde à mi-chemin entre tradition et modernisation sont au centre du film de Semih Kaplanoğlu, le candidat turc aux nominations aux Oscars

Critique : Les Promesses d'Hasan
Umut Karadag dans Les Promesses d'Hasan

Le mot turc tavaf signifie "tourner autour de quelque chose", et dans un contexte islamique c’est le fait de tourner autour de la Kaaba, au centre de La Mecque, en partant de la Ḥajaru al-Aswad, la Pierre noire. C’est à cela que se préparent spirituellement Hasan et Emin Yilmaz, le couple marié au centre de Les Promesses d'Hasan de Semih Kaplanoğlu, le candidat turc aux nominations aux Academy Awards 2022, après le passage du film à Cannes dans la section Un Certain Regard.

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Le Hasan du titre est interprété par Umut Karadag, un acteur très connu dans son pays, une sorte de George Clooney avec moins de cheveux et un regard sévère et plein de douleur. Hasan est agriculteur, propriétaire d’une terre qu’il a héritée de son père dans la province d'Ankara : on le voit s’occuper des pommes et des tomates personnellement, avec ses travailleurs, puis se battre pour empêcher l’installation d’un énorme pylône pour lignes à haute tension par la Yeni Akım Elektrik. Ces problèmes ne le distraient pas toutefois d’un événement important qu'il va bientôt vivre : après trois ans d’attente, il a été tiré au sort pour le pèlerinage vers la Mecque, avec sa femme Emin (Filiz Bozok). Cependant, comme tous les fidèles le savent, tout pélerin ne peut arriver dans ce lieu sacré qu'après avoir reçu la bénédiction de tous ceux auxquels il a fait du tort, or pour Hasan, l'entreprise est particulièrement difficile. Au cours du film, on découvre en effet que notre héros n’est pas du tout l'homme irrépréhensible et vertueux qu’il semblait être au début, et que lui-même est convaincu d'être. Sa maison et ses terres lui ont été assignées à lui par un juge en odeur de corruption, et de fait, depuis, son grand frère (Mahir Günşiray) ne lui adresse plus la parole depuis 20 ans. C’est vers ce même juge qu'Hasan se tourne pour faire déplacer la ligne électrique sur le terrain d'un voisin. Ayant appris de la bouche d'un employé de sa banque qu'un autre propriétaire terrien frôle la banqueroute, Hasan n'hésite pas en profiter pour acheter sa terre à un prix sacrifié, causant sa ruine, tandis que lui-même dépense une somme énorme pour l’hôtel qui l'accueillera pendant son pèlerinage. Sa femme Emin vaut bien son mari : derrière ses bonnes manières, elle est radine et mesquine. Entre eux deux, il y a à la fois de la complicité et un vide impossible à combler, créé par un sentiment commun de culpabilité. Hasan est le fruit de notre temps, pris en sandwich entre son amour pour la nature et la démarche calculatrice de quelqu'un qui veut défendre le bien-être obtenu grâce à des faveurs recherchées au sein d'un système corrompu.

Le réalisateur (qui a de nouveau fait appel aux services du directeur de la photographie Ozgur Eken, équipé d'une caméra 6K Sony Venice) s'arrête sur les différents éléments naturels pour bien souligner la distance entre un monde idéal et celui, hypocrite, où évolue le personnage central, à présent en quête du pardon des gens qu’il a trahis. C'est un petit hypocrite dans un univers hypocrite, suggère Kaplanoğlu, qui montre aussi l’impossibilité, pour les agriculteurs turcs, de vendre aux pays de l’Union européenne leurs produits traités avec des pesticides que leur vend pourtant l’Allemagne elle-même. Dans les rêves de Hasan, il y a une lamentation pour l’innocence perdue et la menace d'une punition divine imminente, magnifiquement représentée visuellement par le réalisateur quand un lot de pommes arrachées aux arbres par le vent viennent frapper notre homme – une scène qui rappelle la pluie de grenouilles biblique dans le Magnolia de Paul Thomas Anderson.

Kaplanoğlu, Ours d'or à Berlin en 2010 avec le superbe et très émouvant Miel [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Semih Kaplanoglu
fiche film
]
, qui était le dernier film d’une trilogie qui l'a rendu célèbre dans le monde, nous a habitués à un cinéma au langage extrêmement raffiné, comme celui du cinéaste de la même génération Nuri Bilge Ceylan (tous deux font partie de ce qu'on appelle la "troisième génération", avec Yeşim Ustaoğlu, Zeki Demirkubuz, Reha Erdem et d'autres), et à un regard pondéré, réaliste et subtilement politique qui se pose sur la province rurale turque, asphyxiante et suffocante, et qui explore les relations familiales, à mi-chemin entre tradition et modernisation, ainsi que le conflit entre foi et aspirations personnelles. Une tendance expressive confirmée par ce film, qui est la deuxième partie d’une nouvelle trilogie, commencée avec Commitment Asli en 2019.

Les Promesses d'Hasan a été produit par les sociétés turques Kaplan Film Production et Sinehane Productions. Les ventes internationales du film sont assurées par l'enseigne allemande Films Boutique.

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(Traduit de l'italien)

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