email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

ROSE D’OR 2021

Critique : January

par 

- Le réalisateur bulgare Andrey Paounov, connu pour ses documentaires hybrides imprégnés de réalisme magique, a reçu le Prix spécial du jury au Festival de la Rose d’or pour son premier film de fiction

Critique : January
Iossif Surchadzhiev dans January

Dans sa trilogie documentaire Georgi and the Butterflies, Problème de moustiques et autres histoires et The Boy Who Was a King, Andrey Paounov évoque la transition politique et sociale de la Bulgarie après 1989. Il examine à la loupe ce processus interminable en s’intéressant au destin singulier de personnes jusqu’alors anonymes. Au regard de sa filmographie, January, le premier film de fiction de Paounov, lauréat Prix spécial du jury au Festival de la Rose d’or, semble être la conclusion apocalyptique de cette transition. Dans une Bulgarie postcommuniste déliquescente, le film dépeint en effet un monde clos, peuplé de personnages anonymes menacés d'extinction. Le film est une adaptation libre de la pièce éponyme signée Yordan Radichkov, auteur bulgare atypique connu pour son langage unique et pour ses envolées métaphoriques. Et si la pièce de 1974 revient sur la disparition de villages bulgares dans le tourbillon d’un processus de vaste modernisation, le film de 2021 semble suggérer la disparition d’une nation, voire de l’humanité tout entière.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Au cours d’un mois de janvier enneigé, le mois le plus bulgare de tous (selon Radichkov), quand aucun être normalement constitué ne s’aventurerait dans les bois (selon Paounov), le gardien d'un complexe de chalets de montagne isolés et à moitié abandonnés (interprété par Samuel Finzi) passe le temps en faisant des mots croisés avec un vieil homme, le Vieux (Iossif Surchadzhiev). Le troisième personnage à leurs côtés est un corbeau noir, qui dans sa cage descend religieusement des verres de Rakia. Cette étrange quiétude hivernale est interrompue par les jumeaux (Zahary Baharov et Svetoslav Stoyanov). Ils ont besoin du tracteur de Peter Motorov, le propriétaire du chalet, pour dégager leur chasse-neige, qui s'est enlisé. Or, Motorov est parti en traîneau à travers les bois. Très vite, le prêtre (Leonid Yovchev) rejoint à son tour cet étrange groupe. Ensemble, ils attendent Motorov en chuchotant des histoires sur le tenetz ("le fantôme" en dialecte du nord-ouest de la Bulgarie) qui rode et en assistant à des phénomènes étranges. Le cheval de Motorov revient à plusieurs reprises avec le traineau chargé de dépouilles de loups congelés, mais sans aucune trace de Motorov. C’est approximativement à ce moment-là que l'intrigue commence à sombrer dans l'absurde. On y croise des chasseurs de fantômes en costumes et on suit la disparition progressive des personnages dans la neige.

Par rapport à la pièce, les dialogues du film sont rares, mais efficaces. Paounov donne vie à la langue complexe de Radichkov en construisant une imagerie originale. Ces images forment un décor en noir et blanc très stylisé, soulignant un déclin naturel et artistique. Lorsque la caméra de Vasko Viana (Le Dernier bain [+lire aussi :
critique
fiche film
]
, Patrick [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Alba Baptista
interview : Gonçalo Waddington
fiche film
]
) délaisse les visages des personnages pour nous montrer le paysage environnant, notre regard tombe sur des portraits oubliés d'anciens dirigeants communistes et sur des piles d'objets cassés et inutilisés, autant de vestiges d'un passé toujours présent. Une telle mise en scène marque le point de départ d'une œuvre cinématographique allégorique qui, à un niveau universel, illustre la peur de la mort et l'anticipation d'une catastrophe mondiale. Toutefois, à l’échelle locale, le film évoque l'échec de la transformation politique qui, trente ans après la refonte du système, a vu sa population diminuer, ses infrastructures péricliter et certaines zones du pays se dépeupler. Le personnage de Peter Motorov, qui brille par son absence et dont tout le monde semble dépendre, évoque quant à lui l’omniprésence des oligarques postcommunistes.

Au-delà de son lien avec l'histoire bulgare récente, January de Paounov, doit à sa photographie fascinante, sa bande-son effrayante, son incroyable distribution et son suspense toujours croissant, d’être un excellent thriller mystérieux qui n'a pas vraiment besoin d'être situé dans un contexte spécifique pour être apprécié.

January est une production bulgare de Portokal, coproduite par la Télévision nationale bulgare, Terratreme (Portugal) et Tarantula (Luxembourg).

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Privacy Policy