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CANNES 2021 Quinzaine des Réalisateurs

Critique : Retour à Reims (Fragments)

par 

- CANNES 2021 : Véritable orfèvre des archives, Jean-Gabriel Périot dissèque l’histoire intime et politique de la classe ouvrière française en adaptant un essai de Didier Eribon

Critique : Retour à Reims (Fragments)

Mettre à nu les inégalités sociales et la violence de l’exploitation en remontant le cours du temps à partir de la mémoire et du quotidien de sa propre famille, afin de décrypter les évolutions générales politiques du monde ouvrier, c’est à ce sujet que s’est dédié le sociologue et philosophe Didier Eribon avec son essai autobiographique Retour à Reims. Publié en 2009, l’ouvrage ne pouvait pas manquer d’attirer l’attention du documentariste engagé Jean-Gabriel Périot (apprécié avec Une jeunesse allemande [+lire aussi :
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et Nos défaites [+lire aussi :
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), dont le travail se nourrit des plongées sociales dans le passé et de relectures très personnelles de l’Histoire officielle pour éclairer et questionner le présent. Une approche que le réalisateur (et monteur exceptionnel) développe dans Retour à Reims (Fragments) [+lire aussi :
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, dévoilé à la 53e Quinzaine des Réalisateurs (dans le cadre du 74e Festival de Cannes) exclusivement à travers des images d’archives (du réel ou de fiction) très judicieusement choisies et savamment agencées sur un texte lu par Adèle Haenel.

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Construit en deux mouvements, le film se tisse à partir des années 1930 autour de la figure de l’arrière grand-mère d’Eribon, fille-mère à l’âge de 17 ans, chassée de chez elle et qui aura quatre enfants tous placés dans un hospice de charité quand leur mère part en Allemagne pour le Service du Travail Obligatoire (elle sera aussi tondue à la Libération pour avoir couché avec l’occupant). À peine son certificat d’études obtenu, la grand-mère de l’écrivain commença à travailler à 14 ans comme bonne, subissant le harcèlement sexuel des employeurs (le silence ou perdre son emploi). Car "les lois de l’endogamie sociale sont liées à la reproduction scolaire" : les enfants d’ouvriers étaient très rapidement éjectés de l’école primaire vers le monde du travail alors que ceux de la bourgeoise poursuivaient au lycée. Pire, les premiers s’auto-éliminaient psychologiquement, contribuant à renforcer l’étanchéité des frontières sociales.

Cette séparation amplifiée par la ségrégation en matière de logement ("des casernes civiles"), par une extrême pauvreté ouvrière et par l’univers physiquement inhumain du travail à la chaîne en usine, était vécue encore plus âprement par les femmes, contraintes à des avortements clandestins et mises sous contrôle par leurs hommes (une mentalité masculine partagée à l’échelle de la société tout entière). Mais il régnait néanmoins alors une solidarité ouvrière, une communauté soudée par les bals populaires et par le soutien au Parti Communiste. Un sentiment d’appartenance qui s’évanouira (c’est le second mouvement du film) vers la fin du XXème siècle avec la prise en compte de la rhétorique anti-immigrés par le PC, la montée en puissance d’une extrême droite surfant sur la défense des classes populaires et la naissance du concept du pacte social atomisant les individus et anesthésiant la polarisation des luttes.

Œuvre passionnante de réflexion mémorielle et film virtuose dans l’assemblage d’archives d’illustration très diverses (actualités TV, documentaires, fiction) toujours pertinentes, Retour à Reims (Fragments) est particulièrement à son avantage dans son premier mouvement plus intime. Le second temps (les répercussions politiques vers la situation contemporaine) est tout aussi excellent, mais étonnera moins en termes d’analyse, la couleur de l’engagement déterminé de Jean-Gabriel Périot n’étant plus à démontrer, ce qui est tout à son honneur.

Produit par Les Films de Pierre et coproduit par Arte France et l’INA, Retour à Reims (Fragments) est vendu à l’international par The Party Film Sales.

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