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TRANSYLVANIE 2022

Franziska Stünkel • Réalisatrice de The Last Execution

“Le cinéma est un lieu où l’on vit une expérience collective”

par 

- Nous avons discuté avec la réalisatrice allemande, qui dépeint dans son film une relation cauchemardesque entre l’individu et le régime communiste en Allemagne de l’Est dans les années 1980

Franziska Stünkel • Réalisatrice de The Last Execution
(© China Hopson)

Qu’est-ce qui pourrait inciter quelqu’un à collaborer avec l'effroyable Stasi ? Et quelles conséquences personnelles ce choix peut-il avoir ? Le deuxième long-métrage de la réalisatrice allemande Franziska Stünkel, The Last Execution [+lire aussi :
critique
interview : Franziska Stünkel
fiche film
]
, projeté en compétition au Festival du film international de Transylvanie (17-26 juin, Cluj-Napoca), plonge directement au cœur de ces questions, montrant à quel point il est facile pour un régime répressif d’anéantir l’âme de quelqu’un. Voici ce que dit la réalisatrice sur la véracité de ce film de fiction et sur le fait que nous ne devrions jamais oublier les erreurs du passé.

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Cineuropa : Les films inspirés d’événements réels vont de l’exactitude historique à la pure fiction. Où se situe The Last Execution sur cet éventail ?
Franziska Stünkel :
The Last Execution est un film de fiction. Il s’inspire de la vie du Dr Werner Teske, qui a été condamné à mort et exécuté en République démocratique allemande en 1981. Je trouvais important de raconter l’histoire judiciaire de Werner Teske de manière à rester fidèle aux faits historiques. Il a fait son doctorat à l’Université Humboldt de Berlin-Est et il a été recruté par les services de sécurité de l’État avec la promesse d’obtenir un poste de professeur s’il travaillait pour les services secrets. Il est devenu de plus en plus aliéné à cause de son travail pour les services secrets, et il a fini par voler des documents de renseignement interdits d'accès. Il est allé en prison, puis son procès a commencé et il a été condamné à mort. Même selon la loi de la RDA à l’époque, cette sentence était complètement injuste. Le procès s’est déroulé dans le plus grand secret. Je voulais reconstituer tout ce qu’il s’est passé au tribunal aussi fidèlement que possible.

Si, dans The Last Execution, je l'ai appelé Franz Walter, c'est parce que je voulais que le fait qu’il y a évidemment dans le film des passages romancés soit bien clair. Il y a, par exemple, des ellipses temporelles qui nous permettent de nous concentrer sur les aspects essentiels de sa vie. Tout ne peut pas non plus être éclairé par des recherches. Ce qui m'intéressait, c'était la vie intérieure de Franz, or on ne peut que présumer ce que quelqu’un ressent vraiment. J’ai essayé de me rapprocher de lui autant que possible.

D’un point de vue social et psychologique, pensez-vous qu'il est important que le cinéma explore les histoires du passé qui n'ont pas encore été dites ?
À mon avis, c’est extrêmement important : la connaissance du passé est importante pour que nous comprenions le présent et anticipions un possible futur. J’ai passé plusieurs années à faire des recherches pour ce film, et ce faisant, j’ai découvert une multitude d’histoires qui nous apprennent énormément de choses sur le comportement d’un individu dans un tel système politique, et sur l’abus de pouvoir qu’un système politique peut engendrer chez un individu. Il est important que nous parlions du passé entre nous. Le cinéma est un lieu où l’on vit une expérience collective. Lors de ma tournée des cinémas en Allemagne, après la séance, les conversations duraient généralement deux heures au lieu des 20 minutes prévues. Tout récemment, au Festival de Transylvanie, j’ai aussi senti à quel point le besoin de cet échange était grand.

Avec la distance sécurisante du présent, il est si facile de condamner catégoriquement et sans ambiguïté ceux qui ont fait des compromis dans le passé. Est-ce que vous jugez votre personnage principal ?
Je voulais faire un film qui soit entièrement raconté du point de vue d’un seul être humain. Je dois être capable de comprendre pourquoi il a choisi cette voie. C'est la condition pour pouvoir en tirer un enseignement pour moi-même. Si je juge et condamne, je reste à l’extérieur. Je n’ai pas à approuver tout ce qu’il fait, mais je dois être capable de le comprendre.

C’est exactement ce que vous avez dit : à distance, il est si facile de juger, mais quand on vit vraiment une situation, c’est plus difficile. Le film parle des décisions qu'on prend dans la vie. Pour ce film, par exemple, je m’intéressais à des questions du genre : est-ce que quelque chose peut arriver à quelqu'un par hasard ? Peut-on décider librement ? Comment peut-on être manipulé ? Comment peut-on se forger une conscience des causes des décisions qu'on prend, qui dépendent de l’éducation, de la société dans laquelle on vit, du système politique, entre autres choses ?

Lars Eidinger offre ici une interprétation impressionnante. Pouvez-vous nous décrire votre travail ensemble ?
La collaboration avec Lars Eidinger a été merveilleuse et intensive. Nous avons tourné dans des lieux historiques authentiques, comme l’ancienne prison de la RDA à Berlin-Hohenschönhausen et le siège du ministère de la Sécurité d’État à Berlin. La connaissance de ces lieux historiques a fortement influé sur sur notre travail. Les enregistrements de l’époque ont aussi servi de guide. Mais notre matière première a avant tout été nos conversations constantes à propos du personnage. Plus on est précis, plus le propos sera universel ensuite.

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(Traduit de l'anglais par Marine Régnier)

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