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CANNES 2022 Compétition

Albert Serra • Réalisateur de Pacifiction - Tourment sur les îles

“Le personnage de De Roller me rappelait vraiment Donald Trump !”

par 

- CANNES 2022 : Nous avons interviewé le réalisateur catalan, bien accueilli avec ce premier film, hypnotisant, qu'il présente en compétition à Cannes

Albert Serra  • Réalisateur de Pacifiction - Tourment sur les îles

La première chose que l’on remarque chez Albert Serra, c’est qu’il ferait un excellent sujet pour l’un de ses propres films. Ce critique n’a jamais été aussi fasciné par le jeu vestimentaire d’un réalisateur lors d’une interview : ses lunettes noires, ses pantoufles, et tout le reste. Et puis, il y a sa façon de parler, pleine d’éloquence et parfois de grossièretés. Il était d’humeur charmante lors du Festival de Cannes, après la première de Pacifiction - Tourment sur les îles [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Albert Serra
fiche film
]
au Grand Théâtre Lumière la veille, son œuvre la plus ambitieuse et certainement la plus puissante de toutes.

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Cineuropa : Diriez-vous que ce film est celui dont vous avez rêvé toute votre vie, ou du moins toute votre carrière artistique ?
Albert Serra : Je ne dirais pas ça, parce que cela voudrait dire que je ne peux pas être plus ambitieux ou faire quelque chose de plus grand. Ça fait partie d’un processus d’évolution, c’est vrai. Cela ouvre les portes à quelque chose de complètement différent, de plus ambitieux, de plus fou. Pour ceux qui connaissent mon travail dans l’univers artistique, il y a encore plus encore, ce que j’ai fait pour la Biennale. Je ne prépare rien, je n’ai pas de programme. Je ne m’inquiète pas pour ma carrière. Je me concentre sur chaque projet, sur l’évolution des images et sur l’esthétique que je peux créer.

Pourriez-vous expliquer la résonance du titre international ?
C’est juste une fiction du Pacifique. L’idée est que le film n’est que pure fantaisie, il aborde la politique, la modernité, les hommes et les relations humaines aussi, mais au bout du compte, j’aime l’idée qu’il est exotique, artificiel et invraisemblable. Toutes les relations entre ce couple, De Rooler et Shannah, frôlent le grotesque. C’est un amiral qui possède également de nombreux sous-marins nucléaires.

Comment s’est déroulée la préparation sur les différentes îles en amont du tournage ? Qu’avez-vous pensé des acteurs non professionnels, comme les danseurs et les chefs de clans ?
Je n’ai fait qu’un voyage, et j’étais censé filmer immédiatement, et puis la pandémie a éclaté. Je préfère la tension qu’implique de me rendre là-bas, de ne rien savoir et d’être avec toute l’équipe. Les tensions, les disputes, le choc créent innocence et spontanéité. Beaucoup de choses échappent au contrôle, c’est le cauchemar des acteurs de l’industrie. Ils veulent tout garder sous contrôle parce que c’est une immense industrie et qu’il y a la pression du facteur temps. Mais en agissant ainsi, vous ne pouvez pas tout avoir, vous obtenez un certain confort économique, mais artistiquement, vous vous faites avoir.

Lors de votre conférence sur Amos Vogel l’an dernier au NYFF, vous avez évoqué ce que vous qualifiez de "vulgarité de la narration". Aviez-vous cela en tête en faisant Pacifiction - Tourment sur les îles ?
En général, lorsque vous parlez de narration, vous le faites comme si vous vous adressiez à enfant. Vous savez, il y a le gentil, le méchant, ou "le Diable, bon d’accord, ils sont corrompus, merci bien". Vous payez des gens qui vous disent ce que vous savez déjà. Vous les payez 10 $ pour vous montrer des images que vous avez déjà vues, connaître une sensation que vous avez déjà ressentie. Et bien à l’avenir, vous ne paierez plus, vous avez des centaines de films de ce genre sur Netflix. C’est moins cher d’avoir 200 exemples de la même merde, au même prix, si c’est ce que vous souhaitez, je veux dire. Si vous voulez de beaux films, ce sera plus cher.

Mais vous avez affirmé que Chinatown était votre source d’inspiration, c’est certainement un exemple suprême de narration.
Et bien, les acteurs sont bons, surtout John Huston. Et puis il y a la confusion de la dernière scène, le sujet très sombre de l’inceste, et celui de la corruption, avec l’eau. Le point de vue est important, Jack Nicholson est dans chaque scène du film, et les seules informations que nous avons sont celles qu’il possède. Nous sommes dans sa tête et ses yeux sont les nôtres. Ici, je voulais faire la même chose, mais de manière plus moderne. Il y a aussi The Parallax View et Cutter’s Way, ce sentiment de paranoïa qui règne sur le monde. En parlant de paranoïa, il existait des entités appelées trusts, qui étaient des groupes de sociétés. Ces trusts sont désormais visibles, ils n’ont plus besoin de se cacher. Pourtant, le pouvoir militaire est toujours soumis à une forme de contrôle plus sombre parce que le pouvoir économique de ces sociétés est indiscutable. Quoiqu’il en soit, en ce qui me concerne, le pouvoir militaire est plus fascinant. Il est toujours plus intéressant d’avoir un sergent dans l’armée, qu’un gars à la tête d’une grande entreprise.

Considérez-vous De Roller comme le reflet des élus politiques d’aujourd’hui, ceux qui, comme Macron ou Biden, incarnent l’idéologie du centre ?
Il me rappelait surtout Donald Trump ! Avec les combats de coqs et les "Aggghhh" (il imite le combat de coqs). D’accord, il a l’air aimable, mais il penche davantage du côté populiste, puis il devient sympathique, voire gentil. Après ça, vous le voyez paranoïaque, puis psychopathe. Il y a des sourires, mais ce sont ceux d’un psychopathe.

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(Traduit de l'anglais par Karine Breysse)

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