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CANNES 2022 Quinzaine des Réalisateurs

Elena Lopez Riera • Réalisatrice de El agua

“Dans toutes les sociétés, les gens ont besoin d’une forme de magie”

par 

- CANNES 2022 : Nous avons rencontré la réalisatrice espagnole pour l’interroger sur son premier long-métrage, plein des contes d’enfance qui résonnent encore à ses oreilles

Elena Lopez Riera • Réalisatrice de El agua
(© Laia Lluch)

Le temps s'écoule lentement dans un petit village du sud-est de l’Espagne, tout comme sa rivière. Quoique le cours d'eau soit à présent calme, les gens le craignent encore et continuent de faire circuler l’histoire d’une mariée jadis kidnappée par ses torrents capricieux. Dans le titre El agua [+lire aussi :
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interview : Elena Lopez Riera
fiche film
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, projeté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes, les vieilles légendes ne font plus qu'un avec le réel, et personne ne sait plus faire la différence. La réalisatrice Elena Lopez Riera nous en dit plus.

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Cineuropa : Sur les histoires d'eau racontées dans le film, est-ce que vous les avez inventées ou est-ce que vous avez grandi avec ?
Elena Lopez Riera :
Une des femmes à qui je parle dans le film est ma mère. Il y a aussi mes voisines et mes cousines. Elles sont tellement proches de moi. J’ai été élevée par ces femmes, à écouter ces mythes, ces histoires sur l'eau. Dans notre vie quotidienne, il y avait différents niveaux de pensée magique. C’est une des raisons pour lesquelles j’ai décidé que je ferai un jour des films. Ces femmes étaient tellement passionnées dans leurs manières de narrer leur vie de tous les jours. Je me rappelle que ma grand-mère me parlait des malédictions et rituels qu’on pouvait accomplir au lieu d’aller chez le médecin. C’était toujours mélangé avec des sujets extrêmement prosaïques, comme ce qu’on allait cuisiner pour le dîner. Il n’y avait pas de différence ! Quand j’ai grandi, je me suis rendu compte que leur vie était dure : elles travaillaient, s’occupaient de tout le monde. Elles avaient besoin de quelque chose d’autre, quelque chose qui aille au-delà de ça.

Peut-être que c’est pour cela que certaines personnes ont besoin de la religion ?
Ou de l’astrologie ! Dans toutes les sociétés, que ce soit à Londres ou Madrid, les gens ont besoin d’une forme de magie. Ça peut être le yoga ou n’importe quoi, à vrai dire, c’est vous qui choisissez : c'est une chose en laquelle on peut croire. On peut le voir très clairement maintenant, après la pandémie. Nous avons besoin d’explications que la science ne peut pas nous fournir. Par ailleurs, et on peut le voir dans le film, j’étais obsédée par cette légende en particulier : celle de la mariée, de l’eau et des femmes. Pourquoi toutes ces croyances et contes tournent autour des corps féminins, de leurs désirs et de leur liberté ?

Le résultat est que vous avez grandi dans la peur, car quand on n'en ressent pas, d'autres vont s’assurer que vous en ressentiez. Dans votre film, au moins, les femmes savent d’où peut venir le danger : tout droit de la rivière.
C’est vrai. Il y a toujours une manière d'instiller de la peur en nous. La société vous répète : "Ne fais pas ci ou ça, ne sors pas la nuit, ne bois pas, parce qu’on va te violer". C’est omniprésent, cette peur de tout. Ça me brise le cœur. Nous, les femmes, nous l'internalisons, ça devient notre héritage. J’étais fâchée contre ma famille pour m’avoir élevée de cette manière, mais elle était aussi victime de cette manière de penser. Ma famille voulait juste me protéger. Cependant, d'autres femmes m'ont donné de la force. Grâce à elles, je me suis rendu compte que je n’étais pas folle et que je n’étais pas la seule qui, parfois, détestait sa mère [rires]. Une des raisons principales qui m'a donné envie de montrer ces trois générations de femmes, c'est la volonté de montrer qu'un tel amour peut être violent, aussi.

Il y a aussi un rêve d’évasion. On se demande pourquoi certaines personnes ne l’ont pas fait, et si la jeune génération va jamais y parvenir.
J’y songeais également. Je me demandais : "Est-ce qu'ils existent, même ?". À un moment, ça m’a rappelé les sorcières ou les fantômes. Ils essaient de surmonter cette malédiction, le "mauvais œil", et se cachent chez eux comme dans un château fort. Je pensais beaucoup à Johnny Guitar [le western de 1954], qui est un de mes films préférés, soit dit en passant : c'est l'oeuvre d'un homme, mais l'héroïne est un personnage féministe fascinant. Elle ne possède pas grand chose, mais c’est à elle. C’est pareil ici. Je ne cherchais pas à dire que toutes les femmes sont gentilles et les hommes méchants. Dans mon film, ces femmes continuent de vouloir fréquenter des hommes, et elles croient en l’amour. Mais elles sont aussi tellement fatiguées.

Quand vous montrez des gens plus jeunes, il semble que certaines choses aient un peu changé, qu'il y ait de l’espoir pour l’avenir. Ils ne sont pas aussi limités par les rôles de genre. Pas encore du moins.
Je ne voulais pas inclure dans le film un grand récit bien plus vaste, elles sont juste ensemble. C’est très autobiographique, parce que je me souviens comme il était important, avant, de juste passer du temps avec ses amies. Quand on grandit dans un monde misogyne, il y a plusieurs manières de résister, et l’une est de se serrer les coudes. L’amour est révolutionnaire ; s'amuser, c'est révolutionnaire. Précisément parce que les gens sont nombreux qui veulent que vous ayez peur. Parfois, la meilleure réponse est : "Je vous emmerde, nous sommes heureuses". Les jeunes sont si fiers de leur corps, par exemple, alors que moi, j’étais tellement embarrassée par le mien que j’ai passé le plus gros de ma vie d'adolescente voûtée, la poitrine rentrée. Les garçons aussi sont différents maintenant, heureusement. C’est la conséquence de la culture machiste : elle n'affecte pas que les femmes.

Est-ce que vous pensiez à l’eau en structurant votre histoire ? Parce que la rivière coule, mais on ne remarque pas tout de suite son mouvement.
Je voulais que les gens se laissent simplement porter par ce mouvement. Et aussi, c’est comme cette rivière polluée : on sait que le voyage ne sera pas de tout repos. On va croiser des choses, et il y aura de la saleté. On n'est pas sûr de là où ça va mener.

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(Traduit de l'anglais)

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