email print share on Facebook share on Twitter share on LinkedIn share on reddit pin on Pinterest

CPH:DOX 2022

Nataša Urban • Réalisatrice de The Eclipse

"Mon film pose des questions sur la manière dont on affronte la douleur dans le monde"

par 

- Nous avons interrogé la réalisatrice serbe sur son documentaire, qui use de différents formats et reprend les carnets de bord de son père pour retracer le passé récent de son pays

Nataša Urban • Réalisatrice de The Eclipse

The Eclipse [+lire aussi :
critique
interview : Nataša Urban
fiche film
]
de Nataša Urban vient de remporter le DOX:Award à CPH:DOX, c'est-à-dire le premier prix du festival. La réalisatrice nous raconte comment elle a élaboré ce film très personnel et politique.

Cineuropa : D'oû est venue la volonté de raconter cette histoire si longtemps après avoir quitté la Serbie ?
Nataša Urban :
Ce n'était pas dans mes projets du tout. J’étais dans une période de deuil profond après la mort tragique de quelqu’un que j’aimais. Je suppose que sous la pression de cette douleur immense, le cocon qui recelait mes souvenirs et traumatismes, que j’avais bien enfouis, s’est fissuré et tout s’est mis à ressortir. Je ne pouvais pas le contrôler. Alors j’ai décidé de prendre la chose à bras le corps et j'ai entamé un processus consistant à affronter les démons du passé. Ce fut un processus douloureux mais très important et il a abouti à ce film. Ça interroge la manière dont nous traitons la douleur dans le monde.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

Qu’est-ce qui vous a convaincue de structurer le film à partir des carnets de bord de votre père et d'événements clefs du passé récent de la Serbie ?
J’ai trouvé une beauté incroyable dans les carnets de randonnée en montagne de mon père, faits de détails qu’il a saisis sur les trente et quelques dernières années. Il y mentionne chaque sanglier ou chaque lapin qu’il a rencontrés, chaque feuille "mystérieuse" trouvée, chaque bifurcation du sentier de randonnée. J’ai extrait les dates de l’histoire des guerres des années 1990 dans les carnets de bord de mon père pour avoir un effet de contrepoint par rapport à la folie autour de nous.

Au début et à la fin du film, pour l'encadrer, il y a deux scènes d'éclipses solaires, une datant de 1961, une autre de 1999. Ce motif est une métaphore importante dans le film. Les gens se cachant de l’ombre lunaire en 1999 en Serbie représentent la conscience sale d'une nation face aux conséquences de ses choix politiques. Même maintenant, les crimes de guerre, les atrocités et les génocides perpétrés pendant les guerres de Croatie, de Bosnie-Herzégovine et du Kosovo se voient opposer au mieux du silence, au pire du déni.

La deuxième métaphore est connectée à la nature cyclique des éclipses en tant que phénomènes naturels. Je l’utilise pour qu'on se rappelle que le passé et l’Histoire se répètent, tout comme les guerres de mon point de vue, quand j’étais plus jeune. J’avais 22 ans au moment de l’éclipse totale de 1999. À ce stade, mon pays avait mené quatre guerres.

Comment avez-vous conçu votre approche visuelle ?
Établir une grammaire visuelle unique pour le film était très important pour moi, et j’ai travaillé là-dessus dès les premières phases de l'élaboration du film. Il a été tourné entièrement sur pellicule, avant tout en 16 mm par le chef opérateur Ivan Marković, qui est incroyablement talentueux. Comme contrepoint visuel à ces images très bien faites, il y a des images Super 8 que j’ai tournées moi-même. Sur le plan conceptuel, le 16 mm représente le présent et le Super 8 le passé. Le matériel tourné en Super 8 est très subjectif et rêveur. Je voulais jouer avec différents aspects de la mémoire : oublier, occulter, changer d’avis, se souvenir. J'ai donc souvent utilisé de la pellicule vieille de 40 ou 50 ans. Ensuite, elle a été traitée manuellement dans différents révélateurs (y compris à base de café et de légumes) pour obtenir différents aspects.

Pouvez-vous nous en dire un peu plus sur le design sonore et la musique. Comment avez-vous travaillé avec les compositeurs et le designer sonore ?
Pour moi, il n’y a jamais eu d'alternative à Svenn Jakobsen pour le design sonore, et pareil pour les compositeurs Bill Gould et Jared Blum, non seulement parce qu’ils sont brillants dans ce qu’ils font, mais aussi parce qu’ils étaient absolument parfaits pour ce film en particulier. Il était important pour moi que le sound design reflète la dichotomie visuelle entre ce qui est réel et ce qui est dans ma tête.

J’ai commencé à travailler avec Gould (surtout connu comme étant le bassiste de Faith No More, un groupe que j’adore, donc c’est une autre connexion très personnelle) et Blum, musicien conceptuel spécialisé dans les bandes originales expérimentales, très tôt dans le projet. Nous nous sommes mis d’accord sur le fait que je ne voulais rien de dominant qui imposerait des émotions au spectateur. Je leur ai donné des indications très générales, et je les ai laissés faire ce qui leur semblait juste pour ce film. Ils travaillent avec de la musique électronique analogique donc ça coïncidait avec l’approche visuelle. Je pense que la musique soulève le film et le porte à un autre niveau. Et maintenant, ils prévoient de lancer un album avec cette musique.

(L'article continue plus bas - Inf. publicitaire)

(Traduit de l'anglais)

Vous avez aimé cet article ? Abonnez-vous à notre newsletter et recevez plus d'articles comme celui-ci, directement dans votre boîte mail.

Lire aussi

Privacy Policy