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France / Arménie / Belgique

Nora Martirosyan • Réalisatrice de Si le vent tombe

“La grande question était : comment un pays qui n’a pas de légitimité au niveau international peut-il, à travers le cinéma, exister visuellement et cinématographiquement ?”

par 

- Le candidat arménien pour le prochain Oscar du meilleur long-métrage international dresse le tableau d’un lieu oublié en quête de reconnaissance

Nora Martirosyan • Réalisatrice de Si le vent tombe
(© Gohar Galustian)

Le premier long-métrage de la réalisatrice franco-arménienne Nora Martirosyan, Si le vent tombe [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Nora Martirosyan
fiche film
]
, représente l’Arménie pour les nominations au prochain Oscar du meilleur film international (lire l’article). Nous avons rencontré la réalisatrice pour parler de ses liens avec la petite république autoproclamée qui est le personnage principal de son film.

Cineuropa : Qu’est-ce qui vous a inspiré cette histoire ? Et pourquoi le thème de l’aéroport ?
Nora Martirosyan :
L'envie ou l'intérêt de faire ce film est d'abord venu de l’endroit : cette petite république autoproclamée où je suis allée pour la première fois en 2009. Son nom est le Haut-Karabagh, ou Artsakh en arménien. Quand j’étais là-bas, je me suis rendu compte que tout ce que je voyais correspondait à un État – un parlement, des infrastructures, des routes et des villes –, mais si on regarde sur Google Maps, elle n’existe pas. Je me suis demandé comment ce paradoxe pouvait être montré au cinéma et à travers quel genre de récit. Et puis j’ai découvert l’aéroport, et je me suis dit que c’était le symbole parfait pour la république autoproclamée d’Artsakh, qui veut prendre son envol et être reconnue, mais qui n’est pas autorisée à le faire. J’ai écrit le récit autour de l’aéroport, et tous les personnages sont connectés au lieu d’une manière ou d’une autre.

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Combien de temps avez-vous passé dans cette république autoproclamée, et comment avez-vous mené vos recherches ?
J'ai procédé d'une manière très particulière pour un film, dans le sens où je n’ai pas écrit l’histoire d’abord pour, ensuite, aller chercher les lieux : ça s’est passé dans l’autre sens. Après 2009, je suis allée tous les étés dans le Haut-Karabagh et j’ai cherché des endroits qui étaient importants et pertinents pour décrire ce pays. Ensuite, j’ai placé mon action dans ces endroits. À vrai dire, quand nous sommes allés là-bas en 2018 pour le tournage, je connaissais déjà l’endroit par cœur. Nous avons tourné partout dans cette petite république autoproclamée.

Comment les gens du Haut-Karabagh ont-ils réagi au tournage ? Comment s’est passée votre expérience sur place ?
Cet endroit, qui veut être reconnu, a besoin d’être vu : il a besoin de ce type d’attention. Tous les locaux ainsi que le gouvernement, tout le monde, était vraiment content que nous les regardions à travers l'objectif d'une caméra. Nous avions donc tout leur soutien. Mais il faut savoir que cette petite république autoproclamée n’est pas un endroit paisible. Il y avait des snipers et des mines dans les champs, donc il fallait qu’on fasse très attention. Nous devions faire attention aussi de ne pas trop nous rapprocher de la frontière. Pendant le tournage, c’était relativement paisible, mais nous savions que nous vivions sur un volcan, pourrait-on dire, comme un des personnages le dit dans le film. Cette tension que nous sentions, je voulais qu’elle soit présente dans le film. La musique du film véhicule la tension que l'endroit porte en lui. En 2020, c’est-à-dire environ un an et demi après le tournage, une guerre terrifiante a éclaté partout dans cet endroit. Il s'avère qu’à présent, le film fait dans une certaine mesure figure d'archive, de documentation sur cette époque paisible. Il montre une situation et une atmosphère qui n’existent plus, mais aussi un certain nombre d’endroits qui ont changé de statut et de définition.

D'où vient l’histoire de l’enfant et son commerce d’eau ? Pourquoi est-elle importante pour le film ?
Comme tout dans le film, l’histoire est une allégorie. L’eau magique que vend ce garçon vient des toilettes de l’aéroport, mais comme il croit en son pouvoir magique, ça fonctionne : les gens la boivent et ils se sentent mieux. C’est une métaphore pour tout le film. Si on croit très fort que l'Artsakh va être reconnu, si on espère vraiment cela, peut-être que la fiction peut être plus forte que la réalité.

Comment avez-vous trouvé l’enfant ?
La première fois que je suis allée dans le Haut-Karabagh, j’ai rencontré un petit garçon nommé Edgar, dans un des villages, et nous avons fait des essais. Sauf que quand nous avons trouvé l’argent pour tourner le film, Edgar avait grandi, fait son service militaire et il s’était marié. Nous avons donc dû organiser un nouveau casting. Je suppose que j’ai vu tous les garçons âgés de 8 à 12 du Haut-Karabagh. Nous avons finalement choisi six d’entre eux. Les cinq autres, ceux qui ne jouent pas le rôle d’Edgar, forment son cercle d’amis.

Comment avez-vous choisi le reste des comédiens ?
Il y a seulement cinq acteurs professionnels dans le film, tous les autres sont des non-professionnels. Le second groupe est formé de gens que j’ai rencontrés pendant mes voyages dans le Haut-Karabagh et qui sont devenus importants pour moi. J’ai essayé de faire en sorte que les comédiens, professionnels et non-professionnels, jouent de la manière la plus naturelle et simple possible.

Quel a été l’aspect le plus important pour le développement de votre approche visuelle ?
Visuellement, il fallait que je décrive un endroit. L’idée était de dessiner, au moyen d’un film, un espace déterminé et limité par des frontières. Je voulais parler des frontières sans les montrer vraiment. Avec chaque image, le défi était de repérer où on se trouve à l’intérieur de la république autoproclamée, et à quelle distance on est des frontières. Ma question principale était : qu’est-ce qui définit un pays ? Ses frontières, ses villages, ses villes, ses routes, ses forêts ou ses montagnes ? Comment, à travers le cinéma, un pays qui n’a aucune légitimité internationale peut-il exister visuellement et cinématographiquement ?

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(Traduit de l'anglais)

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