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Xavier Giannoli • Réalisateur

"On a tous besoin d'illusion pour vivre"

par 

- VENISE 2015 : Le cinéaste français Xavier Giannoli décrypte Marguerite, dévoilé en compétition à la 72ème Mostra de Venise

Xavier Giannoli  • Réalisateur

Habitué des grands festivals internationaux (notamment en compétition à Cannes en 2006 avec Quand j’étais chanteur [+lire aussi :
critique
bande-annonce
fiche film
]
et en 2009 avec A l'origine [+lire aussi :
critique
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]
), Xavier Giannoli a dévoilé à la 72ème Mostra de Venise son 6ème long, Marguerite [+lire aussi :
critique
bande-annonce
interview : Xavier Giannoli
fiche film
]
, un plongée dans les années 1920 dans le sillage d'une étonnante cantatrice à la voix dissonante. Rencontre à quelques jours de son départ pour le Lido vénitien.

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Cineuropa : Comment avez-vous découvert l'existence de Florence Foster Jenkins qui vous a inspiré Marguerite?
Xavier Giannoli : Il y a plus d'une dizaine d'années, j'ai entendu à la radio la voix à la fois hilarante et tragique de cette chanteuse qui chantait complètement faux. J'ai ensuite trouvé son seul disque et découvert qu'elle était américaine et avait vécu dans la première moitié du XXème siècle. Sur ce disque, il y avait une photo d'elle avec des ailes dans le dos et le sourire confiant d'une femme qui semblait manifestement totalement inconsciente de la fausseté comique de sa voix. Cela m'a ému et j'ai fait une enquête "journalistique" pour en apprendre le plus possible sur elle. Je n'avais pas envie de faire un biopic car j'ai l'impression qu'ils colorient les images de la vie de quelqu'un, alors que je préfère qu'un film soit une création, donne un point de vue personnel. J'ai gardé beaucoup d'éléments de mon enquête, sur son rapport à la musique, l'inconscience qu'elle avait de la fausseté de sa voix, son milieu social, son cercle de musique. Mais j'ai pris mes distances avec la vraie histoire comme je l'avais fait avec A l'origine où il y avait un vrai fait divers dont j'avais changé l'époque et la région. C'est une façon de libérer de l'espace pour la fable et le romanesque qui sont pour moi des outils pour essayer d'approcher quelque chose de la vérité de ces histoires. Là, j'ai décidé de transposer l'histoire des années 40 aux années 20, et des Etats-Unis à la France.

Les thèmes du mensonge et la vérité sont au coeur de Marguerite
Il y a une vérité humaine, simple : on a tous besoin d'illusion pour vivre. Et dans l'histoire de Marguerite, quelque chose du monde d'aujourd'hui résonne aussi : le mensonge, l'hypocrisie, l'illusion qu'on organise ou dont on est victime parce qu'elle nous sécurise. Le personnage a une humanité qui nous parle et l'on ressent que quelque chose de son drame est le nôtre : le rapport à la réalité, la force qu'on peut avoir pour accepter la réalité de ce que l'on est, de ce que l'on fait. C'est un enjeu de la vie qui me semble universel et qui n'est pas lié à une époque, ni à un milieu particulier. C'est ce que je cherche quand je filme : j'essaye de trouver ce qui m'a touché et obsédé chez ce personnage avec l'espoir que cela parlera à l'humanité des spectateurs et qu'ils sentiront quelque chose d'eux vibrer comme quand on écoute une musique et qu'elle vous touche.

Comment avez-vous joué avec la fine frontière séparant les aspects dramatiques et quasi comiques du personnage ?
C'est un lieu commun, mais la vie peut être comique, burlesque et ridicule, et en même temps tragique, profondément émouvante, parfois douloureuse. Je voulais faire un grand portrait de femme et d'être humain, et ce qui me touchait chez ce personnage, c'était son innocence, donc cela donne quelque chose de risible et d'émouvant. C'est un personnage complètement excentrique dont la drôlerie est l'expression d'une liberté, d'une insoumission. Cette femme est capable de n'importe quoi : elle se révolte contre son milieu, rompt avec tous ses codes, rencontre des artistes et des gens qui lui donnent l'envie et le besoin de s'affranchir, de prendre possession d'elle-même. Donc cela la projette dans des situations très drôles. Mais c'est aussi un personnage qui fait l'apprentissage des mensonges. Un peu comme une enfant marchant sur de la glace et dont on se dit qu'elle va s'ouvrir sous ses pieds, elle risque de découvrir la vérité, que tout le monde lui a toujours menti, que personne n'a jamais osé lui dire qu'elle chantait complètement faux, qu'elle vit depuis toujours dans un bain de mensonges, dans un champ de fleurs en plastique. Il y avait là une tension dramatique très forte, comme un suspense : on a peur finalement qu'elle puisse apprendre cette vérité.

Pourquoi avoir choisi Catherine Frot comme interprète principale ?
C'est une actrice populaire, donc je la connaissais évidemment à travers ses films, mais je l'avais assez rarement vue dans un registre d'émotion. Je sentais chez elle une sorte de vibration et de fragilité, et en même temps quelque chose de digne, mais également quelque chose d'inconnu à essayer de révéler. Elle aussi avait envie et besoin d'aller plus loin. Elle a également une forme d'innocence, dans son regard, dans la forme de son visage, sans que ce soit ridicule, pathétique, complaisant. Je sentais qu'elle arriverait à jouer ce personnage de Marguerite car dans la vie, quand elle vous regarde, on sent une grande pureté, une grande honnêteté. Elle est aussi très incarnée, très concrète. Elle ne vous met pas à distance par quelque chose de cérébral, elle est très physique, elle est tout de suite là ! Comme les acteurs américains que j'aime beaucoup, elle incarne par le corps, par ses gestes, ses regards, sa présence : elle donne tout de suite une vérité aux situations. Donc, évidemment, cela aide l'émotion et, en plus, comme il est question de quelqu'un qui, sans le savoir, vit au milieu du mensonge, cette sensation d'honnêteté et de vérité que Catherine donne, c'était formidable pour le film. Après, et cela arrive parfois sur des films quand on a de la chance, c'est assez mystérieux. Je ne sais pas vraiment ce qui se passe et comment travaille une actrice comme elle. Il y a quelque chose de magique, une part aveugle pour le metteur en scène, sur ce qui se passe entre elle et le personnage. Mais j'ai bien vu pendant le tournage qu'elle arrivait en me donnant une sensation d'évidence du personnage. Mais je ne la voyais pas faire. Parfois, les acteurs, on les voit faire, composer, travailler, trouver des trucs. Là, pas du tout ! J'avais cette sensation complètement enivrante pour un metteur en scène d'avoir le personnage de chair et de sang, vivant. Ca, c'est sa très grande qualité. Ensuite, elle a déployé par moments une incroyable force d'émotion qui doit probablement venir de loin, être relié à quelque chose de sa vie que j'ignore et que je ne veux pas connaître. De la même façon, dans les scènes burlesques, comme lorsqu'elle pose habillée en Walkyrie pour des photos, j'étais complètement dépassé par sa fantaisie et sa liberté. J'aimais cette idée qu'elle était en train de composer un personnage hors norme, un portrait de femme hors du commun, à la fois drôle et émouvante.

Comment avez-vous abordé ce qui est votre premier film d'époque, un genre souvent coûteux ?
Le film n'est pas du tout un gros budget. Je l'ai préparé pendant plus de deux ans en faisant énormément de repérages et en trouvant des solutions pour ce qui risquait d'être onéreux. Les acteurs et la production ont aussi fait beaucoup d'efforts. Mais il fallait quelque chose de visuellement fascinant car c'est aussi dans le sujet : quand on parle de mensonge, le pouvoir de l'image est très important. Comme Marguerite est une femme riche, qui vit dans un château, je voulais une forme d'élégance. Je pense que les plus beaux films en costumes sont les plus minimalistes, donc je ne voulais rien fétichiser, mais plutôt exprimer le passage d'un ancien monde à un nouveau et c'est pour cela que les années 20 m'intéressaient. Marguerite vit dans un château dans le grand style français, mais c'est l'aventure, les rencontres et son désir de s'affranchir de l'autorité de son mari et de son milieu qui lui font découvrir d'autres univers visuels : des cabarets, des bureaux.... Pour les costumes, j'ai aussi cherché l'élégance et la sobriété et je voulais que les couleurs soient maîtrisées, jouer sur très peu de tons. J'ai eu la chance de travailler avec le grand chef-opérateur flamand Glynn Speeckaert et nous avons tourné avec des objectifs des années 60, anamorphiques, qui créent une impression de l'espace très particulière et très belle. Enfin, on traverse énormément d'univers sonores : du didgeridoo, du jazz, de l'opéra, de la musique expérimentale de l'époque... Et dans le cabaret où Marguerite se rend sans savoir où elle met les pieds, elle se retrouve dans un happening dadaïste, un mouvement qui a été la grande révolution artistique du début du XXème siècle et qui a inspiré une grande partie de notre art contemporain. Comme le personnage vit une aventure de la liberté, j'aimais l'idée des années 20, qu'elle entende des sons originaux, qu'elle voit des tableaux qu'on n'avait jamais vus, qu'elle se retrouve avec des artistes qui proposent de nouvelles façons de s'exprimer.

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